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Comment réconcilier les Ivoiriens après une élection présidentielle qui a causé la mort de 85 personnes ? C’est la difficile mission de Kouadio Konan Bertin, KKB comme on le surnomme, le ministre ivoirien de la Réconciliation et de la Cohésion nationale. Ce mardi, il y a eu un signal positif : l’élection par consensus du nouveau président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Adama Bictogo. Mais la Côte d’Ivoire a-t-elle vraiment chassé les vieux démons de la division ethnique ? Le ministre KKB répond aux questions de Christophe Boisbouvier.  

RFI : Mardi dernier, le candidat du parti au pouvoir, Adama Bictogo, a été élu président de l’Assemblée ivoirienne avec le soutien des députés de l’opposition. Est-ce un signe d’apaisement politique ou une simple réconciliation de façade ?

Kouadio Konan Bertin : Ce qui vient de se passer à l’Assemblée nationale démontre tout simplement la grandeur d’âme du peuple de Côte d’Ivoire et de sa classe politique. Nous voulons désormais aller à la paix. Nous avons un passé douloureux que nous voulons laisser derrière nous, et la classe politique doit donner l’exemple. Le chef de l’État, son excellence monsieur Alassane Ouattara, tend la main aux autres belligérants. Il y a tous ceux qui la saisissent, comme vous pouvez le constater, comme le président Laurent Gbagbo qui est rentré au pays, de même pour presque tous ceux qui étaient en exil. Tous les prisonniers politiques ont retrouvé la liberté. Un dialogue politique s’est tenu récemment, et presque tous les partis politiques ont signé un rapport final. Je me réjouis qu’il y ait eu ce consensus à l’Assemblée nationale. Ce ne peut donc pas être un acte de façade.

Oui, mais il y a un passé douloureux, comme vous dites. En octobre 2020, lors de la campagne présidentielle, les violences intercommunautaires ont fait 85 morts. Votre mission ne risque-t-elle pas d’échouer face aux vieux démons de la division ethnique ?

Il ne faut pas se le cacher, nous avons ce problème-là : la présence de l’ethnie dans notre débat. N’oubliez-pas que c’est pour ces raisons là qu’Houphouët Boigny a privilégié dans les premières heures de notre indépendance le parti unique. Nous nous battons au quotidien pour bâtir un État nation. Évidemment, il n’y a pas de risque zéro, mais nous sommes sur la bonne voie, justement, pour proposer aux Ivoiriens des élections apaisées, sans aucun mort, aux municipales et aux régionales de l’année prochaine.

Autre signe en faveur de la réconciliation, la remise d’un passeport à l’opposant en exil Charles Blé Goudé. Mais il a été condamné par contumace à 20 ans de prison. S’il rentre à Abidjan, sera-t-il arrêté ?

Laurent Gbagbo était également condamné à 20 ans de prison avant de rentrer en Côte d’Ivoire. Je constate qu’il vaque tranquillement à ses occupations. Mieux, lui et le président de la République se parlent au quotidien. Charles Blé Goudé viendra comme tout le monde bâtir la paix et la réconciliation. Il n’y a pas de raison qu’il n’ait pas sa place à Abidjan.

L’adversaire le plus irréductible du président Ouattara, actuellement, c’est son ancien Premier ministre, Guillaume Soro, qui vit en exil en Europe. La réconciliation pourrait-elle aller jusqu’à lui ?

Le président Ouattara est déterminé à réconcilier tout le peuple. Cela veut donc dire que personne ne sera exclu. Mais pour aller à la paix, à la réconciliation, il faut que deux volontés se rencontrent. La main du président Ouattara reste toujours tendue.

Le dialogue politique qui a eu lieu au début de cette année entre le pouvoir et l’opposition préconise une rencontre entre les trois grands leaders de la politique ivoirienne : Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. Cette rencontre va-t-elle avoir lieu ?

Les trois se parlent régulièrement. Il n’y a pas de raison que cette rencontre n’ait pas lieu, puisque le dialogue politique l’a souhaité. D’ailleurs, ça se murmure.

Ça se murmure pour quelle date ?

On n’est pas pour l’instant dans le fétichisme des dates. Rien n’urge. Tous les trois sont à Abidjan. Ils viennent ensemble d’enterrer le grand frère du président Henri Konan Bédié. Vous savez, en Afrique, surtout en Côte d’Ivoire, lors des obsèques, on fraternise, on fait la paix. Le président Ouattara était aux côtés de Henri Konan Bédié, le président Gbagbo était à ses côtés. Franchement, ce sont des signaux forts. Ce qui est certain, c’est que les Ivoiriens veulent cette rencontre, je peux vous dire, elle se murmure cette rencontre.

D’ici la fin de l’année ?

Je suppose.

En septembre dernier, Kouadio Konan Bertin, vous avez été attaqué en justice par une artiste camerounaise, madame Sophie Dencia, qui vous a accusé d’agression sexuelle. Vous avez porté plainte à votre tour pour diffamation. Cette affaire ne risque-t-elle pas de vous handicaper dans votre travail de ministre ?

Je fais confiance à la justice de mon pays. J’ai confié mon sort à mes avocats et j’ai dit aux Ivoiriens de me faire confiance. Ce n’est pas parce que j’ai un statut de ministre, aujourd’hui, que je vais donner le sentiment que je peux influencer les choses. Je suis un justiciable comme tout citoyen, et je laisse mon sort dans ce dossier précis à la justice de Côte d’Ivoire.